16‏/07‏/2008

La Petite République de Kacem

Introduction
La petite république de Kacem
Le Kacem Commun, par Zouhair Yahyaoui
Réponse de Kacem, par kacem
Arrière-goût du monde de Kacem, par Angelica
Conclusion par Kacem

Introduction

J’aurais pu imaginer une autre réponse cher docteur Ahmed, mais et vu, que je suis faux, donc
j’ai voulu vous répondre sous forme d’un film. Dans ce film, j’ai voulu que notre jeunesse découvre elle-même. La dictature a ces racines chez nous et nous ne pouvons pas facilement se débarrasser, si nous ne cherchons pas en profondeur ces bourgeons. Nous sommes tous des petits dictateurs, vu la propagation exemplaire de la haine et la bassesse dans notre société.
Notre société doit chercher à découvrir de nouveau elle-même, ceci est le travail de nos artistes. Un vrai changement ne peut être envisagé hors culture (Éducation, Cinéma, Théâtre), si ces boîtes-là sont encore fermées, nous devons donc, écrire encore et encore pour les prochaines générations.
Je suis convaincu que la démocratisation de la Tunisie ne peut pas être une affaire des politiciens, mais uniquement par l’engagement d’une jeunesse créative là ou l’imaginaire n’a pas des limites. Développons donc encore un petit peu l’analyse on posons la questions suivante : Pourquoi la Tunisie n’arrive pas à instaurer un système démocratique ? La réponse est clair ; l’être tunisien, donc l’individu n’existe pas, poussière d’individus Bourguiba a nommé son peuple. C’est pourquoi aujourd’hui la tâche est tellement compliquée pour le régime et pour les démocrates. Ce régime ne peut se maintenir que basé sur cette philosophie de poussière. La moindre ouverture et la moindre respect de l’être humain le met en cause. Nos gouverneurs ne peuvent pas traiter avec des êtres humains libres et dignes, mais uniquement avec des fantômes. Oui, cher ami, des fantômes pour la simple raison : faire peur au monde entier. Donc, on faisant régner la peur aux villages et dans les villes, nos gouverneurs peuvent dormir tranquillement. C’est pourquoi je salut tous les démarches sans exception de toutes les femmes et tous les hommes, qui ont pu briser ce barrière. L’opposition tunisienne doit absolument dépasser les petits calculs entre partis et entre individus, vu qu’il y a un objectif final. Une tolérance exemplaire est à la demande de cette jeunesse. Il y a eu et il y aura beaucoup des opposants qui ne tiendront pas jusqu’au bout et rêvent de rentrer chez eux après des longs années d’exil, moi je tolère ceci, parce que je suis un être humain fragile, oui nous devions les saluer même s’ils ont abandonnés le combat de leur peuple. Le flux de sortants est supérieur à celui de rentrants et le combat continue avec la jeunesse, c’est a elle de choisir son destin.
Voici donc ; la petite république de kacem, j’ai voulu vraiment voir ce film sur le grand écran chez nous en plein centre ville, mais ce petit film d’enfant ne peut être compris hors
La Grande République de Kacem Katizoka La Quatrième Mandat Le Congrès de la République de Kacem
Tous ces cinq films forment une unité et resterons un projet à produire.
La petite république de Kacem
Ce que je relate ici n’est pas de la fiction mais tout simplement la stricte vérité. J’aurai peut être dû envisager quelques scènes imagées et un peu surréalistes, mais j’ai préféré m’en tenir à la réalité telle que je l’ai vécue dans la vaste plaine céréalière de mon enfance. C’est elle qui a bercé cette mon enfance et m’a procuré les plus belles sensations.
Vous allez trouver les réponses et les justifications à travers la complexité des passages et les plans de coupe. Petit à petit, je pagine ma mémoire vive et petit à petit, je cherche dans ma mémoire morte les images saillantes et les moments de réel plaisir.
C’est vraiment difficile de me plonger dans mon histoire personnelle. Il est encore plus difficile de représenter convenablement les personnages de ce film et de leur donner corps, vu qu’ils ne sont plus là.
Je suis à l’âge de 8 ans. Un enfant innocent, vivant dans la nature et en pleine symbiose avec elle. La plaine céréalière s’étend à perte de vue, morne et ennuyeuse si elle n’était entrecoupée par des arbres fruitiers.
Notre village est distant d’à peine 10 kilomètres de la ville, nommée la république de Kacem par mère. A son retour de Tunis ville, après un long séjour à l’hôpital, ma mère n’a rien imaginé de mieux que ce mot pour nommer notre village. Peut-être qu’elle n’a pas aimé beaucoup la ville de Tunis ou qu’elle avait des regrets et s’en voulait d’avoir laissé son fils unique, Kacem, seul au village pendant près d’un mois. J’étais à la maison avec notre esclave, oui notre esclave, BOUBAKER, un homme noir un peu plus âgé que mon père. C’est avec lui que j’ai fait mon premier apprentissage des notions de liberté et de dignité. La nuit, il me racontait durant de longues veillées, des histoires et des scènes invraisemblables qui me faisaient pleurer. BOUBAKER était un homme d’une fidélité exemplaire. Il était plus fidèle que le meilleur des chiens du monde. Il savait tout sur nos terres, de leurs limites à l’histoire de chaque parcelle, bien plus que ne le savaient mon père et ma mère. C’était la mémoire de notre famille.
Boubaker vivait seul dans son GOURBI. Il avait ses affaires et ses casseroles et faisait sa cuisine tout seul, ne se mêlant à nous qu’à la demande de mes parents. Mon père, m’expliquait souvent que si BOUBAKER voulait la moitié des terres, il la lui accorderait sans hésiter. Mon père n’a jamais considéré BOUBAKER comme esclave, c’était plutôt le frère, l’ami et le confident. Les voisins et autres villageois le traitaient plutôt comme le « Khammès » de mon père, ce qui ne le gênait guère.
BOUBAKER était mon premier maître. C’est lui qui m’a appris très tôt, toutes les techniques de conservation des aliments, mes premières leçons de botanique avec les noms des plantes et de sciences naturelles avec notamment les vents et les saisons de sécheresse et de pluie.
Mon père était un simple fonctionnaire à la bibliothèque de la ville, ce qui me donnait un grand avantage puisque j’accédais plus facilement que mes amis aux livres et aux journaux.
Le soir, avec le crépuscule et après le retour de mon père du travail, nous allions tous trois, mon père, Boubaker et moi-même à la mosquée pour nos prières.
Ma mère, Zinab, était, je crois, le meilleur ingénieur agricole du monde. Nous avions chez nous une basse-cour avec plein d’oiseaux, des poulettes et des poules, des coqs d’une grande richesse de couleurs de plumages, mais aussi des moutons, des chèvres et enfin un âne. Ma mère était experte en génétique sans le savoir. Elle savait sélectionner les chèvres de lait et les poules qui donnent deux œufs par jour. Nos produits fermiers sont tous vendus à nos voisins. Parmi eux, il y avait Sophie et son mari Bernard : deux français, le directeur de l’école et sa famille ainsi que l’administrateur territorial.
Tous les villageois vont à la mosquée avec leurs enfants. Mon ami Ali accompagnait toujours son père. La mosquée est un lieu sacré pour tous, aussi bien les enfants que les aînés. Mais, un jour, je me souviens très bien d’une scène dans laquelle l’honnêteté était mise à l’épreuve. J’étais à la mosquée à coté de mon père et Ali était à côté du sien, juste derrière moi. l’Imam entame la première Rakaa(prosternation) de la prière et tout le monde le suit. Au moment où je le fis à mon tour j’aperçus à mes pieds une pièce de 10francs. En me prosternant, elle était au niveau de mon ventre. Front au sol, je vis la main de mon ami Ali se glisser entre mes jambes pour prendre les 10 francs. Sans hésiter, je lui donnai un coup de pied sur le visage et je pris la pièce pour la placer dans ma bouche. Ali commenca à pleurer et une bagarre éclata en pleine prière. Ce fut pour la première fois qu’un Imam interrompt une prière pour résoudre un problème de ce genre. La pièce de 10 francs n’était pas à Ali, mais à un vieil homme qui était à une rangée derrière. Il avait perdu la pièce ainsi que sa boîte de Neffa(tabac à priser). Pour éviter le scandale, j’ai dû l’avaler.
C’était la dernière fois que j’accompagnais BOUBAKER à la mosquée.
Le fils du directeur de l’école dominait la classe. Nous avions tous peur de lui et nous nous sommes tous mis à son service. On lui donnait des œufs, des biscuits et des boîtes de sardines pour qu’il ne nous dénonce pas à son père. Un jour nous nous sommes fixés un pari consistant à voir la couleur du string de notre institutrice. Je ne savais pas pourquoi, mais c’était notre pari ce jour-là. Nous avions demandé au fils du directeur de commencer par jeter son crayon sous son bureau.
La dame était divorcée et portait toujours un habit court. C’était presque une minijupe. C’était la plus belle dame du village. Le fils du directeur parvint à se glisser sous le bureau, mais n’arriva pas à lever sa tête pour voir la couleur de son string. J’avais suivi tous ses mouvements. Cela ne l’empêcha pas de chuchoter à mon Ami Ali, que le string était de couleur rouge.
Il était mort de rage et de peur et n’a pas trouvé mieux que de nous mentir tout simplement. J’ai alors demandé à Ali de vérifier puisqu’il était plus prêt de moi du bureau de l’institutrice. Ali n’a pas accepté. Alors, comme un grand et puisque j’étais au milieu de la classe, j’ai lancé mon crayon et j’ai avancé à quatre pattes, en direction du bureau de l’institutrice. J’ai vu ses jambes bouger puis j’ai senti ses chaussures sur mon cou. Elle m’avait pris en flagrant délit, les yeux en direction de la chaise. Alors elle m’attrapa comme un duvet et me fit atterrir au bureau de directeur en lui disant que je lui faisais la KBAHA. Une sorte d’attentat à la pudeur.
Le directeur me saisit et me frappa à l’aide d’un tuyau. Ma peau prit des couleurs. Certaines parties avaient viré au rouge, d’autres au bleu et au violet. Je me rappelle de ces instants comme si c’était aujourd’hui. Depuis le fils de directeur de l’école était devenu ma cible préférée. L’affaire ne s’arrêta pas là.
L’institutrice la raconta à ma mère que j’ai entendue par la suite en parler à mon père. Curieusement sa réponse fut d’une grande sagesse : c’est son âge, lui dit-il, il veut tout découvrir, petit à petit et qu’il ne fallait pas me punir.
A cette époque-là, l’enseignement consistait en deux séances quotidiennes, ARBI et SOURI ou Arabe et Français. Mais nos préoccupations étaient ailleurs. C’était surtout la couleur des jambes de notre institutrice Sophie qui nous posait problème. Elle était trop verte à notre goût et nous ne comprenions pas pourquoi. Nous n’avions aucune explication médicale de cette maladie. Notre nouveau pari consista alors à lui toucher les jambes pour savoir si leur couleur était naturelle ou pas. Ali me disait qu’elle les peignait chaque jour pour que les hommes de village ne la regardent pas.
Kacem le plus idiot dans l’histoire de l’école s’engaga alors à vérifier les jambes de notre institutrice. J’ai demandé donc à Ali de me pousser vers elle, juste à son entrée en classe. Le moment venu, je me lance aux pieds de la dame et je m’accroche à ses jambes ...La dame n’avait rien compris et tombe au sol à cause de moi. Le directeur était à cet instant-là à la porte de son bureau. Il avait suivi la scène et arriva en courant au secours de la dame. Quant à moi, j’étais plutôt préoccupé de vérifier si mes mains portaient des traces de couleur verte. Le tuyau se mit aussitôt en action et ma peau fragile commença à saigner. J’étais en larmes, criant et cherchant refuge parmi les tables et les amis. Mais le directeur était toujours derrière moi et ne lâchait pas prise. Ses coups étaient de plus en plus forts. Le directeur ne sembla se suffire du tuyau. Il coupa alors un petit bâton d’un grenadier de la cour et continua sa bastonnade. J’étais au bord du coma. Je ne savais pas comment j’ai pu réuissir à rentrer à la maison, mais je me souviens être resté malade plus de deux semaines.
Ma mère, ne m’avais rien dit et mon père, n’a même pas voulu évoquer le problème, c’était un tabou que de parler d’un sujet pareil. J’avais le plus grand soutien de ma vie.
Merci papa, Merci Maman.
C’est un peu pour cela que Kacem est resté très faible en français. Mon institutrice, Sophie, ne m’a jamais donné une note supérieure à 1/5 en français. Sophie m’a détesté à jamais. Je parlais et j’écrivais mal le français, parce que Sophie m’a toujours refusé une chance de me réconcilier avec elle. Le nom de Sophie me rappelle encore ces longues heures de français.
J’étais toujours obligé de me croiser les bras à la dernière place de la classe de 36 élèves. Sans discussion et sans participation. Merci Sophie, je te demande pardon pour les 150 millièmes de fois. Sophie, me rappelle mes frustrations et c’est pourquoi, je n’arrive jamais à trouver avec elle la moindre coordination. Sinon je ne suis pas le plus mauvais artiste de la Tunisie.
C’était dimanche, mon père décida de m’envoyer chercher son journal en ville. Ma mère, m’habilla de mes plus beaux vêtements de cérémonie, plaça la petite somme d’argent dans ma poche et me conseilla de marcher toujours à droite. Toujours à droite, répéta-t-elle en me voyant m’éloigner. Je me rappelle aussi que mon père voulait faire un petit geste à mère : c’était un casse-croûte au thon. Ma mère aimait beaucoup les petits gestes de ce genre.
J’entame mon voyage en ville, traversant les champs et les petits ruisseaux pour accéder au chemin menant à la ville. Et c’est un autre monde que je découvris : de vastes routes, des boutiques, des kiosques et surtout des voitures. Le centre ville, avec son grand marché m’a paru encore plus féerique : j’étais au cosmos. Les enfants de la ville me paraissèrent plus propres que nous. Peu d’entre eux étaient pieds nus comme nous autres. Tous ou presque portaient des sandales et des pantalons.
J’ai acheté le journal de mon père et le casse-croûte au thon de ma mère et me remis en marche pour rentrer à la maison. J’étais subjugué par cette ville aux milles couleurs et je me mis suis mis dans la tête de demander à mon père de l’y accompagner le jour du marché. Au milieu de la route, je fis la rencontre de deux enfants. Ils m’arrêtèrent pour me demander d’où je venais ? J’ai vite compris qu’ils ne me voulaient pas du bien. Ils avaient l’air méchants et m’en voulaient parce que je ne faisais pas partie de leur cercle. Leurs intentions devenaient plus claires quand ils m’entourèrent et se mirent dans l’idée de me déposséder du journal de mon père et du casse-croûte de ma mère.
Les mains chargées, je me pouvais me défendre qu’à l’aide de pierres. Mais ils le devinèrent vite et m’attaquèrent à coups de poing sur le visage. A peine quelques coups et mon nez était en sang. Je me mis à pleurer à chaudes larmes surtout que mes agresseurs m’arrachèrent des mains le casse-croûte et le journal avant de s’en aller.
J’ai hésité longtemps avant de me décider à rentrer à la maison, tête baissée, sans forces, déçu et abattu. Instinctivement, ma mère avait senti peut-être quelque chose et estima que mon retard n’était pas normal. Elle vînt donc à ma rencontre. Dès que je l’aperçu de loin, je me suis mis à courir à sa rencontre et me jetai dans ses bras.
Elle s’assit au milieu de la route en me tenant dans ses bras comme un bébé. Elle avait tout compris de mon aventure sans que je ne lui dise un mot. Mes larmes et mes cris lui traduisaient clairement l’humiliation que je venais de subir. Alors, elle essaya de me calmer en essuyant mes larmes. Quand cela ne fit rien, elle essaya de me traiter comme un grand, me rappelant que j’étais un homme et qu’il me fallait apprendre à me défendre par moi-même. Mais le problème est que, choyé par mes parents et me sentant protégé par eux, je n’avais jamais participé à des bagarres auparavant..
En apprenant ma mésaventure, BOUBAKER était devenu fou de rage. Il décida de m’apprendre à me défendre en m’inculquant quelques rudiments de techniques d’autodéfense. En fait, je n’avais rien appris de lui et c’est mon père qui me mit sur le bon chemin. Ce chemin fut celui de la lecture avec une préférence pour les romans policiers et les investigations des détectives.
Je ne sais plus le nombre de livres et d’articles de journaux arabes que j’avais lus au cours de cette année.. J’avais seulement neuf ans.
C’est au cours de cette année que jécrivit mon premier texte en arabe, paru dans notre journal d’école. Ce texte était écrit sur du papier stencil au stylo Bic, pour pouvoir en faire de nombreuses copies. Je mettais le miroir de ma mère sous la feuille stencil. J’étais le typographe de l’école. Le tambour de la machine imprimante me fascinait. Je tournais le tambour à la main, toute la nuit, pour que le journal soit prêt le lendemain matin.
La distribution était assurée dans toutes les écoles primaires de notre ville. Mon texte était à la Une. Ma boite à craie et mon porte plume n’étaient jamais vides. Cétait avec mes économies que j’achetais le papier blanc pour augmenter le volume du journal, celui de la UNE et par conséquent mon article.
Nos terres s’étendaient sur plusieurs hectares. Nos voisins habitaient loin de nous, et la seule maison qui nous faisait face, était celle de Sophie et de son mari. Un jour, ces derniers se mirent dans la tête d’empêcher les gens du village de traverser près de chez eux. Au village, il n’y avait pas de routes goudronnées, mais juste des chemins et des pistes qu’empruntent les animaux et les piétons : les élèves de l’école, les femmes et les ouvriers agricoles.
La grande plaine est traversée par une multitude de sentiers. Chacun faisait son propre sentier selon ses propres besoins et ses destinations. Cette situation n’était pas pour plaire à Sophie qui a fini par déposer une plainte. Elle réclamait de l’administration qu’elle ouvre une nouvelle route pour le village afin que les gens ne traversent plus près de chez elle.
L’administration accepta sa demande et envoya les ingénieurs pour décider de son tracé. Ces derniers décidèrent de la faire passer par notre terre.
J’étais dans le rassemblement qui s’est composé à cette occasion avec notamment BOUBAKER et mon père. Mon père opposa un refus catégorique à la décision des ingénieurs au motif que cette route passerait par nos terres mais aussi en face de chez nous. Mais le directeur de l’administration territoriale et le juge étaient de l’avis des ingénieurs et exigèrent que la route soit ouverte là où l’ont décidé les ingénieurs. Il faut appliquer la loi, déclaraient-ils et la loi était en faveur de Sophie et son mari.
Le choc était terrible pour mon père qui a perdu la parole. Il fut saisi de tremblements et de spasmes. Sa bouche demeura grande ouverte. BOUBAKER alla à son secours pour le ramener à la maison, le tenant par ses épaules et le traînant même. Il était inconscient.
Son arrivée à la maison dans cet état bouleversa ma mère. Au début elle n’avait rien compris. Puis quand elle réalisa la gravité de la situation, elle se mit à pleurer et à crier. Au bout d’un instant, elle ne se contrôlait plus, ses grands yeux rouges étincelant de douleur et parlant comme une folle. Qu’ils prennent toutes les terres, mais reviens chéri, reviens chéri. Elle s’assit par terre, la tête de mon père entre ces bras. Elle le serrait contre elle comme un gros bébé, basculait à gauche et à droite comme une pendule. Ya Azizi, Ya Azizi répétait-elle en pleurant. Mon père toujours inconscient, était dans un état de coma : pas une parole, pas un geste, pas un mouvement.
BOUBAKKER s’employait à allumer un feu devant la maison. Une fois cela terminé, il courut à son GOURBI et en ramena des herbes sèches et de nombreux petits sacs. Il se mit à quatre pattes pour souffler sur le feu avec ses grandes lèvres. Quant à moi je courais pour lui apporter les branches vertes d’olivier. Il parlait et disait des choses incompréhensibles, tournant sur lui-même comme une toupie et autour de ma mère et de mon père, toujours inconscient. A chaque tour, il jetait des choses dans le feu laissant dégager une fumée épaisse. L’air était irrespirable et me faisait tousser....
Après lui c’était moi qui lui emboîtais le pas commençais à tourner comme lui. je courais, courais, courais, puis respirais. j’avais encore un souffle....De temps en temps, j’étais dans le feu des petites brindilles et des feuilles d’olivier et je chantais : Va-t-on, Va-t-on, Va-t-on, puis criais de vive voix : Va-t-on. (est ce que tu veux dire comme allons-nous ou va-t-en pour dire BARRA en arabe ?) A un certain moment, BOUBAKER tomba devant moi. Je l’enjambe et je continue à crier : Va-t-on, Va-t-on, Va-t-on .... et c’était exactement à ce moment-là que mon père, encore entre les bras de ma mère, m’attrapa de sa main gauche et me serra contre lui en pleurant de toutes ses larmes chaudes et pures.
BOUBAKER se dressa debout, enleva sa KACHABIA et nous en couvrit tous les trois. Nous étions devant la maison, face au feu. BOUBAKER, lui, nous prépara du thé et nous avions passé toute la nuit dehors, pour éviter que le diable n’entre chez nous, ou chez BOUBAKER.
Mon père ou Si Belgacem, comme aimait à l’appeler ma mère, avait repris ses esprits. Il s’est assis les jambes croisées en face du feu et nous parla : Je ne veux plus entendre parler de cette histoire et je ne veux pas que vous évoquiez devant moi cette route. Ce monsieur est le juge de tous les juges et sa décision est définitive et sans recours. Si l’on continu à refuser, ils prendront tous nos autres champs. Nous n’avons pas le loisir de choisir notre pays et nos maisons. Donc on se calme. C’est Dieu Seul qui va nous dédommager et Lui Seul nous récompensera pour cette route qui traverse notre terre. Kacem, sera un jour un grand docteur ou un juge et trouvera la solution pour changer cette route. C’est l’histoire du juge de Juges.
Depuis ce je jour, j’ai appris à avoir peur du HAKEM, (les institutions gouvernementales) le juge le plus puissant du monde et je l’ai détesté sans rien savoir. A cet âge-là, je savais que la Tunisie était occupée. Mais je croyais que les français étaient des nôtres. Pour moi, il n’y avait aucun doute que Sophie et son mari faisaient partie de notre structure sociale. Je croyais qu’ils avaient les mêmes droits que nous.
Ma mère avait de très nombreux oiseaux de basse-cour. Les poules étaient dispersées à travers les champs, pondant leurs œufs où bon leur semblait. C’est ainsi que j’étais toujours à la recherche des nids perdus dans les champs du blé. Il m’arrivait ainsi de m’éloigner, tout seul, à des kilomètres de la maison. Ce sont ces grands espaces qui ont formé l’imagination du plus mauvais artiste de Tunisie, qu’est ce Kacem !
Un jour, j’ai trouvé un chiot au bord de la route, pas très loin de chez Sophie. Il tremblait de froid et peut-être aussi de peur. Je le pris dans mes bras et aussitôt constatai qu’il n’ouvrait pas encore les yeux. Je l’ai couvrit avec ma petite veste verte. Les poches de ma veste étaient pleines d’œufs, dont un ou deux étaient cassés. Je mis le petit chien par terre, j’enlèvai ma veste et je lui fis manger les oeufs cassés. Il avait visiblement faim et continua longtemps à lécher ma main. Cet instant magique restera gravé dans ma mémoire, jusqu’à ma mort. Le chiot ouvrit les yeux pour la première fois dans sa vie.
L’acte : les yeux dans les yeux, ce fut le premier contrat de confiance entre un chien et son maître. Je prends mon chien entre mes bras et je rentre à la maison emportée par une joie immense. Je le mets devant ma mère, et le lui présentai : mon chien KAÏS ! C’est ainsi que j’ai décidé de l’appeler.
Ma mère lui donna par la suite un diminutif : Kaïsoun. Sa place était juste à la porte du poulailler. Je lui apportais du lait frais et des oeufs crus qu’il affectionnait beaucoup.
Chaque jour, il m’accompagnait jusqu’à la porte de l’école. Il restait dans les champs de blé, se cachait entre les herbes jusqu’à la fin des cours. Moi aussi j’attendais avec impatience le moment de notre rencontre. Nous traversions les champs et les petits ruisseaux pour rentrer à la maison. Kaïs a grossi et pris du poids très vite. Un jour ma mère m’a dit que le chien n’est pas « arbi » de race arabe. Au bout de deux mois il pesait déjà près de 35 Kg. Mon père, lui aussi, adorait Kaïs. Il me ramenait de la bibliothèque les livres concernant les chiens de race Saint-Bernard.
Les séances de dressage étaient des plus difficiles de ma vie d’enfance. Chaque fois que Kaïs répondait à ce que je demandais de lui, il avait droit à un œuf cru. Je lui ai tout appris : La défense, l’attaque, les reculs et même comment marcher en rampant. Je lui faisais faire tous ces exercices en plein champ, loin du contrôle de mon père, de ma mère et de mes trois amis : Bader, Ali et Youssef. Aujourd’hui, Ali est un docteur en médecine nucléaire aux Etats unis, Bader professeur de mathématiques en France et Ali, directeur d’un laboratoire de recherche physique en Allemagne.
Quant à Kacem, votre serviteur, il est toujours là pour vous raconter les beaux moments de son enfance.
J’ai présenté mes trois amis à Kaïs et depuis il ne les attaque plus. Eux aussi,ils aimaient Kaïs comme un frère fidèle. Nous jouons ensembles aux billes, à la toupie et au foot-ball. Kaïs était toujours avec nous, dans tous nos jeux. Il était irremplaçable.
Un jour, au moment où nous étions entrain de jouer au ballon, au coucher du soleil, BOUBAKER rentrait du champs d’oliviers où il avait travaillé toute la journée. À ce moment-là, je l’ai entendu crier : Ya Kacem, Ya Kacem.... J’accourus aussitôt à son secours. Kaïs était devant moi, comme un lion. Quand je suis arrivé auprès de Boubaker, il était par terre. Des enfants d’un village voisin se moquaient de lui en lui disant : Ya Khammas, Ya Khammas.... Notre charrette était presque renversée, l’âne dans un piteux état. Je chasse les enfants et courus derrière eux en appelant Kaïs à ma rescousse : Kaïs : Attttttaaaaaaaaque, Atttttaaaaaaaaaaaaque. L’un des enfants fut mordu par Kaïs et j’ai eu toutes les difficultés du monde à dégager sa cuisse des crocs du chien. L’enfant pleurait, criait de toutes ses forces. J’ai donné à l’enfant trois ou quatre coups à l’aide d’un petit bâton d’olivier.
BOUBAKER se remit débout pour redresser la charrette et nous sommes rentrés ensemble. C’était moi qui conduisais la charrette ce jour-là. Elle était chargée de bois et d’herbes et j’étais debout sur la traverse. Ce jour-là, j’ai senti que c’était ma première victoire dans la vie.
La nuit, je n’ai pas dormi. Je jubilais. Je sentais comme si mon corps était totalement transformé, et que si toute la force de Kaïs m’habitait. J’observais fièrement mes petits bras et mes biceps et mimais les grimaces des boxers. Je contrôlais ma poitrine pour la nième fois et regardais comment elle se gonflait et se dégonflait à l’instar des mouvements de poitrine de Kaïs après une longue course.
Le lendemain c’était dimanche. Nous n’avions pas de classe Je m’étais réveillé transformé, agressif et même impoli. J’ai crié et j’ai rugi, comme un fou, de toutes mes forces : Yahhhhhhhhh....Yahhhhhhhh...
Après j’ai chanté comme notre coq : Cooq ......Cooriqo.......Cooooq. Puis j’ai aboyé comme le chien. Kaïs était là à m’encourager. Nous étions tous les deux, face à face, moi gonflant la poitrine, lui serrant les dents et faisant sortir ses griffes, comme s’il voulait me montrer qu’il était là. Je continuais à dresser mon chien et je suivais sérieusement ses progrès dans tout cela.
Un jour ma mère me passa un verre de lait pour mon petit déjeuné. J’ai refusé net en disant je ne bois jamais de lait bouilli et que je le voulais frais ainsi que des oeufs crus, comme Kaïs.
Ce dernier ne savait pas qu’il y avait des êtres plus chiens que lui. Un autre jour je m’en vais à la bergerie et je plonge sous la première chèvre pour sucer du lait frais. C’était devenu une habitude et chaque jour je faisais ainsi le plein et je terminais mon petit déjeuner en gobant deux œufs crus sans la moindre grimace.
Un jour, j’ai mis la peau de notre mouton de l’Aid de l’année précédente sur ma veste et je suis parti aux champs avec ma bande et Kaïs. Chacun de nous avait coupé la peau de mouton en deux pour confectionner des uniformes de soldats. Je me rappelle que Bader est lui aussi allé chercher la peau de leur mouton.
L’armé de la république de Kacem était née ce jour-là. L’imagination des enfantsde 10 ans n’a pas de limites. La première coupe marine de nos cheveux fut prête, le jour même.
C’est BOUBAKER, qui a coupé nos cheveux à la manière des soldats américainsd’aujourd’hui.Nousavionsdénommé cette coupe BARDAA ou selle d’âne. D’ailleurs, Kaïs avait la même coupe que nous tous.
Le lundi, à l’école tous les élèves se mirent à se moquer de nous et de notre coupe. Ali, le plus bagarreur s’est énervé et a frappé un élève sur sa joue droite en lui disant : Voilà la gifle de Kaïs. Il le frappait et en même temps il enfonçait ses ongles dans la peau de l’élève. C’était la signature de l’armée de la République de Kacem.
Après l’école et en traversant les ruisseaux vers notre quartier général, là où nous cachons nos uniformes et nos armes, J’ai donné le premier ordre de ma vie : Garde à vous ! Les trois soldats qui composaient notre armée s’alignèrent devant moi et répondirent à haute voie : A vos ordres commandant....Youssef avait deux assiettes métalliques pour faire le tambour, Ali suivait le rythme en sifflant. Ils marchaient derrière moi au milieu de la route qui conduisait vers la ville. Les répétions étaient trop nombreuses, et nous avons continué jusqu’au début de la nuit. Kaïs obéissait, lui aussi, à tous les ordres de mes soldats.
Le lendemain, était jour du marché, chez nous. C’était le souk. Nous nous sommes mis d’accord pour faire l’école buissonnière ce jour-là. Les villageois vont trop tôt au souk pour prendre les meilleures places afin de mieux vendre leurs produits : oeufs, poules, lapins et fèves cuites.
De bon matin, je suis sorti de la maison sans que ma mère ne le sache. J’avais pris soin de prendre mon cartable. Les trois soldats étaient à l’heure eux aussi. Nos cartables avaient remplacé les armes. C’était notre première opération d’assaut. J’ai crié : chacun à son poste. Mes soldats se mirent à ramper à travers les pieds du blé comme des serpents.
Bader et Ali contrôlaient le côté gauche de la route, que Youssef, moi-même et Kaïs, contrôlions la rive droite. De loin une petite charrette avançait vers notre camp.
Je suis sorti du champ de blé avec Kaïs pour me placer au milieu de la route. Jamais je ne me suis senti aussi fort que ce jour-là. Kaïs se tenait à ma droite, ma poitrine ouverte au vent et mes bras nus, je portais fièrement mon uniforme de soldat. Le petit âne, tirait sa charrette et galopait dans ma direction. Une femme assise sur la traverse de bois faisait face à l’arrière de la charrette. Son enfant tenait les rennes et conduisait la charrette. Quand cette dernière arriva à 5 mètres de moi, je donnai l’ordre à Kaïs d’attaquer. Ce qu’il fit sans hésitation. Le petit âne bascula à gauche et à droite, recula jusqu’à ce que les roues de la charrette se soient bloquées par les pierres du bord de la route. L’enfant tomba par terre. Tous les poulets sont sortis de leurs cages pour partir dans les champs. Je dis à l’enfant que s’il voulait passer, la prochaine fois sans problèmes avec sa mère, il n’a qu’à payer deux poulets. Puis je lui intimai l’ordre continuer vers la ville. Kaïs revînt chez moi. La charrette passa, la femme n’avait rien compris et je me suis approprié les poulets.
Mes soldats se mirent à chercher les poules dans les champs pour les transporter vers le quartier général. Au bout d’une demi-heure cinq poules sont entrées dans la caisse de la république de Kacem. Voici comment Kacem introduisit les notions de taxes sur ses terres. Pour aller au souk, il faut payer la taxe.
Les petits garçons, qui vendaient de FOUL MATBOUKh ou fèves cuites sont eux toujours à pieds. Ils présentent les proies les plus faciles. En passant devant chez nous, ils nous payent le tiers de leurs fèves. Nous destinions ce FOUL à nourrir les poulets. Les poules rentrent automatiquement chez nous, elles suivent la nourriture, qui va jusqu’au poulailler de ma mère aux champs de blé.
A tour de rôle, nous arrêtions les femmes et les garçons. Nous empêchions la libre circulation des charrettes, grandes et petites. C’était la mission de Kaïs, alors que nous nous cachions dans les blés. Ce dernier fait le travail pour nous . C’est alors que nous arrivions soit- disant à l’aide. En fait c’était plutôt pour ramasser les produits agricoles et faire disperser les poules et les lapins dans les blés. Bader et Ali étaient toujours à l’arrière pour contrôler les produits.
Nous changeons fréquemment de place sur la route longue de deux kilomètres, qui traverse notre champ. Nous changions aussi nos méthodes d’attaque. Nous n’allions jamais à l’école le lundi. Le plus beau est que le jeudi était aussi jour de souk, mais ce jour là nous travaillons uniquement une demi journée. Une demi journée de taxes, équivaut à près de cinquante poules, vingt lapins et vingt cinq Kg de FOUL MATBOUKH.
Nos attaques étaient toujours très efficaces parce que bien préparées à l’avance, tous les lundis et jeudis de la semaine. La bande s’était élargie. Ainsi les fils du directeur, du policier et du juge nous ont rejoint. C’était un peu pour nous assurer une certaine protection.
Pendant la nuit, nous avions eu l’habitude d’égorger un ou deux lapins. Le fils du directeur et celui du juge reçoivent chacun et chaque semaine un petit cadeau de la bande consistant en un poulet ou un lapin.
Le mercredi matin, je n’avais pas cours et j’accompagnais ainsi mon père en ville pour vendre quelques produits agricoles. Papa n’a jamais vendu pendant les souks, il vendait à ses amis commerçants. Quand mon père me libère pour rentrer avec Kaïs sur la charrette, je m’arrête au tribunal.
J’ai toujours assisté à ces conversations magiques entre le juge, l’avocat et les agriculteurs. Tous les problèmes étaient presque à cause des limites de propriétés, des routes et des champs. J’étais le seul enfant au tribunal, quelques fois je rate la classe pour entendre le dernier jugement. C’était compliqué mais aussi très intéressant. Au retour je raconte tout cela à ma bande ce qui nous permet de connaître et de vérifier les frontières des terres et des champs.
Nous avons découvert l’existence d’autres villages, et nous nous sommes demandés pourquoi ces gens là ne payaient pas les taxes. Alors nous avons décidé que le jeudi d’après c’était leur tour de payer. Nous étions sûrs d’avoir ce jour-là plus de poulets et d’œufs. Les enfants des autres villages seront aussi de repos ce jour-là.
De bon matin, accompagné de mon chien, j’ai commandé la première opération :
Dix poules en même temps, ils étaient deux frères de notre âge. Kaïs les a terrorisés sans les mordre. J’ai assisté à cette scène d’humiliation, où l’un deux avait pissé dans son pantalon. Je n’avais pas la moindre pitié pour ces deux frères. J’ai appliqué simplement les règles de la nature, donc de la dictature et de la force.
Aujourd’hui, le petit enfant de jadis ne parle pas très bien. il a des tics. Il a été marqué à jamais par cet incident. Le jeudi d’après, tous les petits enfants ont payé le passage au souk sans le moindre problème. Ils savaient que Kaïs et Kacem étaient là, même si quelques fois je n’étais pas avec la bande. Dans la mémoire de tous les enfants il y avait Kaïs puis Kacem. La terreur s’était saisie de leurs têtes et leurs yeux l’exprimaient bien.
J’ai accompagné deux fois le mari de Sophie à la chasse. Il m’invite surtout à cause de Kaïs et de son adresse à débusquer le gibier et moi, pour ma connaissance du pays. Nous avons passé des longues heures à pourchasser et chasser le gibier. C’était avec lui que j’ai entendu pour la première fois le coup de feu. Au retour, c’est moi qui portais la carabine. J’en tirais une immense fierté et un sentiment d’une force imbattable. Les enfants des villages avaient tous peur de moi.
J’ai même entendu quelques enfants dire : Ahhhhhhhh, c’est lui........c’est lui ! Tu as vu, il porte un MAGROUN..C’est lui qui nous oblige à payer les taxes pour passer au souk.
Je marchais à côté de Bernard, comme un héros national. J’avais l’impression que la route devenait plus large et que le ciel devenait plus haut. La carabine sur mon épaule, cassée comme les cous des petits des villages.
Je parlais mal le français avec cet homme et j’avoue que quelques fois je ne comprenais rien de ce qu’il me disait. Il se servait de moi comme moi je me servais de lui pour étendre ma république, par la peur que ma puissance inspirait aux enfants.
A l’entrée du village, l’armée était en position de repos. Les soldats marchaient tous derrière moi en ligne, le pas ferme et la cadence bien calculée.
Je donnais mes ordres : Un...Deux...Un.. Deux !
Le dictateur suprême est en pleine force.
Un jour, le chef de services secrets, Bader, m’informa qu’une chienne du nom de MARWA est arrivée au village voisin. Elle était de race Berger Allemand. J’ai pensé automatiquement à Kaïs et comment le marier avec cette chienne, afin d’avoir plus de puissance et de force d’attaque. J’ai alors intimé l’ordre à Bader de ne jamais tuer cette chienne. Il me la fallait vivante.
Le lundi, nous étions en place pour la collecte des taxes. Kaïs a aperçu Marwa et aussitôt une bagarre éclata entre les deux chiens... Bader, m’a dit, voilà ils ont déjà des armes. Kaïs peut écraser la chienne, il est plus grand et plus solide, mais j’ai besoin d’elle en pleine force. La décision a été vite prise.
Nous avons reculé en arrière pour éviter le combat des chiens. Nous n’avons rien ramassé et nous n’avons rien mangé. L’après midi, j’ai attaché Kaïs et nous sommes allés à l’école comme si de rien n’était.
Le fils du directeur, était impatient de me doubler. Il commença par m’attaquer devant la bande, prétendant que j’étais un dégonflé et que Kaïs était déjà vieux et usé. Je le gifle en sortant de l’école et je l’ai prévenu de ne pas jouer à ce jeu et en tout cas qu’il était banni de notre bande. Bader, lui expliqua fermement que s’il nous dénonçait à son père ou aux instituteurs, il serait sous les pattes de Kaïs. Il a longuement pleuré et tomba par terre. Je me rappelle qu’il n’est pas venu à l’école pendant toute une semaine. Il est tombé malade de chagrin à cause de son expulsion de notre bande.
Un agent de Bader nous apporta un jour une bonne nouvelle : Les enfants du village de la chienne MARWA, se sont bagarrés entre eux. Il n’y avait pas de chef parmi eux. L’un d’entre eux a mis du DTT dans la nourriture de la chienne. La pauvre en a mangé et le lendemain elle est devenue aveugle. Une chienne aveugle était quelque chose de trop nouveau pour nous. Comme quoi les jeux d’enfants peuvent aller à la folie.
Kacem était là pour profiter de la situation. La chienne ne quittait plus le village et tous les enfants payent de nouveau les taxes....et nous égorgeons chaque nuit une poule et un lapin. La vie de la dictature est engendrée par des lois naturelles. Le maître de MARWA avait le libre passage. Il passait sans payer et sans aucun problème. Cela a duré deux semaines. Puis Bader, lui demanda de vendre MARWA à Kacem pour que Kaïs puisse se marier. Le maître de MARWA demanda en échange deux poules et l’Aman (la paix) pour lui-même. Personne ne devait lui faire de mal ni le toucher. Accord accompli, MARWA est venue chez nous. C’était la saison d’amour des chiens.... Kaïs était un bon mari.
Les poulets sont devenus si nombreux chez nous, les œufs et même les dindons, j’ai vu dans ces animaux saufs des armes et des combats. Le dindon et le mouton de l’Aïd font partie de mon armé. Donc le commerce de mon père a vite atteint ses sommets. Avec ma jeune République, j’ai pu ramasser le prix de notre route et même celui des nouvelles terres achetées par mon père. Il ne savait pas d’où venaient ces sommes d’argent et toutes ces poules, ces dindons, ces lapins. Jamais il n’aurait cru que son fils faisait la guerre aux enfants de tous les villages, piratait tout et imposait sa dictature. Il appliquait tout simplement les lois de la nature par la force des armes.
Le meilleur dindon, le plus gros et le plus solide était toujours le cadeau de Sophie pendant les fêtes des Pâques. Avec ces cadeaux, son mari me laissait traverser ses terres avec ma bande pour contrôler les autres routes et les autres ruisseaux.
Bernard m’a expliqué un jour qu’il fallait tuer les JRADE, sauterelles, sinon toutes les récoltes seraient détruites par cet insecte nuisible. La première fois que j’ai connu les sauterelles ou Jrade, c’était avec lui à la chasse. J’ai mis cet insecte dans ma poche, puis je l’ai montré à BOUBAKER, qui l’a mis dans le feu. Puis il a mangé la moitié et m’a donné l’autre moitié.
Aujourd’hui, c’est dimanche. Nous étions en pleine fête de ACHOURA et très éloignés de notre village. J’ai constaté que les autres enfants ont pu créer des nouvelles routes pour ne pas passer de chez nous et ne pas payer les taxes. Donc il y a de l’opposition, il y a plusieurs MASRAB ou sentiers, à tort et à travers. Nous avons décidé donc d’augmenter notre nombre et d’aller chercher plus de Taxes.
MARWA a mis 6 petits chiots, mes nouveaux soldats. Ils sont tellement jolis et beaux. Ils nous accompagnent chaque lundi et chaque jeudi soir. Mais j’ai constaté aussi, que les revenus avaient baissé beaucoup. Nos forces ne sont plus capables de contrôler toutes les routes, vu que les chiots sont encore petits. Bader m’informa que plusieurs soldats rentrent chez eux avant de pointer au quartier général en plus ils volent toutes les taxes ramassées.
J’étais trop nerveux ce jour-là et je ne savais pas quoi faire avec ces nouveaux soldats devenus incontrôlables. Ils ont même commencé à ramasser pour eux-mêmes les poules, les œufs et les lapins. Ils fixaient eux-même les tarifs de passage au souk.
En rentrant avec Bader et Ali vers notre quartier général, j’ai remarqué qu’il y avait un grand nuage qui se déplaçait en direction de la colline. Nos terres étaient toutes en bas de cette colline. Il faisait presque nuit....J’ai remarquer que le nuage collait presque à notre colline. J’ai demandé à Bader d’aller voir, ce qui se passait.
En arrivant à quelques mètres de la colline, j’ai vu la première JRADA se poser sur nos champs de culture. Bader ne savais pas de quoi je parlais. Il n’a jamais vu ces insectes et il ne savait pas qu’ils pouvaient manger tout notre blé.
Sans poser beaucoup de questions, jecourus vers le centre du village pour ramasser les roues de voitures et de camions et qui ont servi par la suite de roues de charrettes. Kaïs aboyait très fort pour rassembler l’armée........Nous commençames a pousser chacun une roue vers la colline, vers nos champs du blé ....il y avait quinze roues. Bader alla chercher du pétrole.
J’ai mis le feu dans toutes les roues, pour que le JRAD ne se pose pas chez nous et aille ailleurs. Pour moi, je pensais uniquement à sauver notre récolte et que les autres aillent au diable. J’ai protégé ma terre et ma république. J’y suis resté toute la nuit.
Le matin, tout le JRAD a pris la direction des autres terres, loin de la nôtre. Il avait attaqué les autres villages....Je savais qu’il allait détruire toutes les récoltes. Ce jour là, je n’étais pas à l’école. Mais les enfants des autres villages constatèrent que le feu et les nuages de fumée venaient de nos terres. Là, ils ont tous compris qu’hier j’avais orienté le Jrad en direction de leurs terres.
Le jeudi, nous nous sommes rassemblés pour les taxes. Mais en arrivant sur la route, j’ai remarqué que les petits enfants étaient tous accompagnés de leurs parents. Ils étaient par groupe de trois, de quatre et même de cinq. J’ai appris qu’ils voulaient une bagarre contre mon chien et moi.
Kaïs était en avant et moi juste derrière lui. Mes soldats avançaient sur les ailes. J’avance derrière le chien confiant et décidé. Ils n’avaient pas peur du chien non plus, qui me devancçait de dix mètres déjà. Un petit garçon de mon âge, avait une chaîne de vélo qu’il faisait tournoyer.
A un certain moment, il toucha Kaïs sur la tête, entre les yeux. le chien tombe devant moi en criant yooooooooooooooooooooooooooooooooooo...je plonge sur le chien pour le protéger. Un deuxième coup me tomba sur le dos. J’en porte encore aujourd’hui les traces.
Ali, Bader crièrent au secours. Le mari de Sophie arriva avec sa carabine pour me trouver cloué au sol, mon chien entre mes bras .............Il me ramassa.... dirigea la carabine vers la tête de Kaïs et tire deux balles.
La petite république de Kacem prit alors fin, ce jour-là.

Le "Kacem commun", par Zouhair Yahyaoui

Je n’aime pas critiquer les œuvres d’autrui, ni donner d’avis qui ne peut être que superflu, d’ailleurs je lis de moins en moins de bouquins et je regarde de moins en moins de films car depuis le cinéma muet rien n’a changé sauf l’ajout du son et l’excès du sang.
J’ai toujours eu cette impression de déjà-vu et de déjà-vécu, comme si l’autobiographie de chacun de nous fait partie intégrante de notre propre histoire, n’empêche que je m’intéresse encore à l’arte pavera et tout ce qui est Trash car insolite, vulgaire et profondément sincère.
J’ai tout simplement aimé La petite république de Kacem d’autant que j’admire les gens qui sont fiers de ce qu’ils sont et qui ne cherchent pas à s’apparenter aux autres. J’ai adoré le fait que vous insistez sur ce malaise qu’ont tous ceux qui veulent relater leur propre vécu dans une langue qui n’est pas la leur et qui les empêche de véhiculer fidèlement leurs desideratas.
Dans votre récit il y a beaucoup de courage et une insouciance cocasse devant les interprétations diverses qu’un lecteur-voyeur pourra en tirer de certains passages surtout lorsqu’on découvrira qui se cache derrière ce Kacem. Une idée je l’ai déjà faite et Kacem doit être un des avocats du diable sinon un diable d’avocat.
La vie de Kacem se résume pour moi et je suis désolé de le dire à la vie d’un kelb et d’un nègre comme la mienne, du 100% Trash exprimé en petit-nègre.
Vive la république de Kacem... Vive la république des cerbères... Vive la République tout court.

Réponse de Kacem
Cher Ami Kacem L’avocat je n’arrive pas à comprendre comment ces deux images sont montées devant moi, plutôt devant lui pour nous parler en même temps. Peut être qu’être un avocat d’un diable devant dieux à la mission plus facile d’être un avocat devant un juge sans foie sans loi.

Arrière-goût du monde de Kacem, par Angelica

Je ferme les yeux, et je repasse les scènes racontées par Kacem dans ma tête. Je sens l’odeur de la terre, et je vois le soleil, dur, pesant, dont la présence incontournable est ignorée comme l’évidence. J’entends les bruits. Les bruits angoissants d’une histoire entêtante. Je repasse l’histoire à l’envers. Un chien dans une mare de sang. Un enfant dont une part reste là pour toujours, dans la mare de sang.
Une chaîne de vélo qui tournoie. Un amour qui comble un manque. Mal. Un enchaînement de manques. Un no man’s land dont les recoins sont aussi vastes que la plaine céréalière de Kacem. Plus loin dans l’histoire... un malaise continu, qu’on recouvre avec un autre malaise, croyant à chaque fois tenir la solution, jusqu’à l’étouffement sous une pile de couvertures. Un pouvoir qui croise un autre pouvoir, sans aucun sens, sans organisation, sans volonté et sans but, comme des mauvaises herbes qui poussent à qui mieux, les survivantes ignorant simplement toutes les autres tant qu’il n’y a pas de concurrence.
Des grands petits et des petits grands. Des poules en liberté qui se multiplient plus vite que les mauvaises herbes. Des chemins, et des pieds qui les parcourent jusqu’à les réinventer.
Un puzzle d’images et d’impressions, voilà ce que je garde de la petite République de Kacem, et que je vous restitue. C’est ma république de Kacem. Tout ce qui reste d’un film après être sorti d’une salle de cinéma : un arrière-goût.
Mais j’oublie, j’oublie le plus important, on l’oublie comme on ignore l’incontournable évidence : la vie, toujours, qui serpente en effleurant tout. Et comme le python des légendes, elle provoque des tremblements de terre quand on veut l’enchaîner. C’est pourtant l’essentiel.

CONCLUSION :
La reine de la république de kacem
...
La seule image restée dans ma tête est celle de Zinab à l’age de 5 ans, une petite fille tenant le bout de la robe de ma mère. Elle suivait ma mère partout de la cuisine à la cour, de l’intérieur à l’extérieur de notre maison.
Le film de Zinab sera écrit en Tunisie sur les territoires de la petite république de Kacem quelques soit les conditions et quelques soit le régime.
Kacem
Kacem

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