Index AI : MDE 30/012/2008
La grève de la faim qu’a entamée depuis le 2 octobre 2008 l’ancien prisonnier politique, Abdellatif Bouhajila, pour protester contre le refus des autorités de lui permettre d’accéder à des soins médicaux et de lui délivrer un passeport met cruellement en lumière le harcèlement auquel sont en butte les anciens prisonniers politiques en Tunisie , a déclaré Amnesty International ce vendredi 14 novembre 2008. L’organisation exhorte les autorités tunisiennes à respecter les droits d’Abdellatif Bouhajila et à mettre un terme au harcèlement et à la stigmatisation dont font l’objet les prisonniers politiques une fois libérés.
Depuis sa libération conditionnelle à la faveur d’une grâce présidentielle en novembre 2007, Abdellatif Bouhajila n’a pas pu récupérer son dossier médical à l’hôpital où il était suivi durant son incarcération, tandis que ses rendez-vous médicaux sont systématiquement reportés, semble-t-il afin qu’il ne puisse pas recevoir les soins dont il a besoin. Pour protester contre cette situation, il a entamé une grève de la faim le 2 octobre. Le 12 novembre, il a reçu la visite de deux représentants du ministère tunisien de la Santé publique, qui se sont enquis de son état de santé et ont promis de lui apporter une assistance médicale. Au moment de la rédaction de ce document, Abdellatif Bouhajila poursuivait sa grève de la faim à son domicile.
Il avait été opéré des reins alors qu’il était incarcéré en 2002 et souffre toujours de troubles rénaux et cardiaques. Son état de santé resterait précaire en raison des mauvais traitements subis en prison et de ses multiples grèves de la faim. Inculpé d’appartenance à une organisation terroriste en 2000, il a été condamné à une peine de dix-sept ans d’emprisonnement, réduite en appel à onze ans en 2002.
La situation tragique d’Abdellatif Bouhajila illustre les difficultés auxquelles se heurtent les anciens prisonniers politiques en Tunisie. Nombre d’entre eux continuent de purger une peine additionnelle de contrôle administratif : ils doivent se présenter à des postes de police précis plusieurs fois par semaine et supporter une étroite surveillance policière ; il leur est difficile de trouver un emploi ou de recevoir des soins médicaux, et leur droit de circuler et de voyager est soumis à des restrictions. Les autorités refusent de leur délivrer des passeports, ainsi qu’à leurs proches dans certains cas, en violation de la Constitution tunisienne et des normes internationales relatives aux droits humains, notamment de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Tunisie est partie.
Les autorités enjoignent à certains prisonniers politiques, une fois libérés, de s’installer dans une région reculée, loin de leurs familles. Abdallah Zouari, ancien prisonnier d’opinion et membre de l’organisation islamiste interdite Ennahda (Renaissance), a vu sa liberté de circuler enTunisie restreinte depuis qu’il a été remis en liberté en juin 2002. Il lui est interdit de se rendre sans autorisation à plus de 30 kilomètres de Hassi Jerbi, un village situé près de Zarzis, dans le sud de la Tunisie, à environ 500 kilomètres de son domicile, à Tunis. Ses demandes d’autorisation pour rendre visite à son épouse et à ses enfants dans la capitale demeurent régulièrement sans réponse.Par ailleurs, les anciens prisonniers politiques qui parviennent à bénéficier de soins médicaux sont soumis à des mesures d’intimidation par la police, jusque dans les couloirs des hôpitaux. Le 13 novembre 2008, un policier est entré dans la chambre d’hôpital d’Abdelhamid Jallasi, ancien prisonnier politique, une heure après son opération, et a refusé de partir, faisant fi des injonctions du personnel médical et affirmant qu’il se conformait aux instructions qu’il avait reçues.
Le 5 novembre, le président Ben Ali a ordonné la libération conditionnelle de 44 prisonniers politiques, dont 21 membres d’Ennahda condamnés à de lourdes peines. Si Amnesty International se félicite de cette mesure, elle redoute que la politique de harcèlement visant les prisonniers politiques se poursuive avec la même intensité après leur libération et engage les autorités tunisiennes à tourner le dos à ces pratiques.
Ces 44 prisonniers ont été relâchés à l’occasion du 21e anniversaire de la présidence de Ben Ali. La plupart des 21 prisonniers politiques purgeant de lourdes peines ont été condamnés au terme de procès iniques devant les tribunaux militaires de Bouchoucha et Bab Saadoun en 1992 et incarcérés pendant plus de quinze ans en raison de leur appartenance à Ennahda. Il s’agissait des derniers membres de cette organisation à se trouver derrière les barreaux. Certains seraient en mauvaise santé : soumis pendant des années à des mauvais traitements en détention et à des conditions carcérales extrêmement pénibles entrecoupées de longues périodes à l’isolement, ils auraient besoin de soins médicaux de toute urgence. Il s’agit notamment de Mondher Bejaoui, Wahid Serairi et Ridha Boukadi. Le 11 novembre, l’administration pénitentiaire de Mornaguia a refusé de remettre son dossier médical à Ridha Boukadi, lorsqu’il est venu le récupérer en vue de nouveaux traitements. Il souffre de graves troubles rénaux. Les 23 autres prisonniers libérés avaient été arrêtés et incarcérés pour avoir participé à des manifestations dans la région minière du gouvernorat de Gafsa en 2008. Ils ont été reconnus coupables de chefs d’inculpation tels que constitution d’un groupe en vue de causer des dommages à des biens publics et privés, et attaque contre des fonctionnaires. Parmi eux figurait l’enseignante et militante des droits humains Zakia Dhifaoui, condamnée en juillet 2008 à une peine de quatre ans et demi d’emprisonnement pour avoir participé à une manifestation pacifique. Ce rassemblement avait pour objectif de réclamer la libération de toutes les personnes maintenues en détention en lien avec les précédentes manifestations organisées dans la région depuis janvier 2008. Bien que Zakia Dhifaoui ait été remise en liberté, à la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été ordonnée sur ses allégations de torture et de violences sexuelles. Des centaines de détenus sont toujours incarcérés pour des infractions présumées à la loi antiterroriste et purgent des peines prononcées à l’issue de procès iniques. Amnesty International invite les autorités tunisiennes à abroger ou modifier toutes les lois qui autorisent à prononcer des peines d’emprisonnement pour l’exercice pacifique du droit à la liberté d’expression et d’association.
LOTFI AZZOUZ
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