25‏/09‏/2008

Un clan puissant dirigele royaume de Ben Ali

Accusations de corruptiondans la société tunisienne

Beat Stauffer
Ce n'est pas uniquement dans le domaine des droits de l'homme que la Tunisie a mauvaise réputation. Des accusations émanant de l'opposition à l'étranger se font de plus en plus nombreuses, laissant entendre que le pays souffre de la domination économique et du pillage systématique des familles liées directement au président Ben Ali.

Le sujet lui-même est tabou en Tunisie et ceux qui violent ce tabou peuvent s'attendre à de graves sanctions. Mais les médias qui échappent au contrôle direct des autorités tunisiennes sont friands de ce sujet sensible: corruption à grande échelle, népotisme, fraudes fiscales et douanières. C'est surtout "
L'Audace", un mensuel basé à Paris, qui essayait de prouver depuis des années que la Tunisie n'est pas seulement un Etat policier, mais aussi un pays économiquement dominé et pillé par des familles influentes faisant partie du cercle restreint qui entoure président Zine el-Abidine Ben Ali. Dans sa rubrique spéciale intitulée "Le jeu des sept familles," le directeur du journal Slim Bagga publie périodiquement des informations détaillées touchant ce sujet explosif, qui préoccupe le public tunisien en général et le passionne comme aucun autre.

Expropriation
Les histoires rapportées dans cette rubrique du journal sont si extravagantes qu'elles sont à peine croyables. Par exemple, cette histoire, racontée dans le moindre détail, d'un propriétaire d'une carrière de marbre qui, après son retour d'un bref voyage à l'étranger, trouve confortablement installé dans son propre bureau un membre du fameux clan Trabelsi qui lui dit qu'il n'a plus rien à avoir avec ce lieu. On rapporte que de telles expropriations, qui se font du jour au lendemain, sont devenues monnaie courante en Tunisie. En tout cas, Slim Bagga possède un stock inépuisable de ces histoires. Selon ses articles, il est pratiquement impossible de porter plainte contre ces appropriations "beylicales", car le pouvoir judiciaire tunisien a totalement perdu son indépendance et il est maintenant au service des puissants clans qui dirigent les affaires du pays.

En réalité, ce sont 60 et non sept familles qui se sont partagé entre elles l'économie du pays, d'après les allégations de Slim Bagga. Au centre de l'édifice se trouve le clan du président Ben Ali, de sa femme Leila Trabelsi et des Chiboub, une famille extrêmement riche à laquelle Ben Ali est lié par le mariage de l'une de ses filles. Selon cette version des choses, les familles Ben Ali, Trabelsi et Chiboub connues sous l'abréviation BTC constituent le coeur de l'empire économique qui entretient des liens avec le reste des puissantes familles du pays.

Messieurs Dix pour cent
Belhassen Trabelsi
D'après Slim Bagga, ces clans familiaux Il leur colle dédaigneusement le titre de "gang de hooligans" ne tiennent pas seulement entre leurs mains les leviers du pouvoir économique en Tunisie, de façon directe ou à travers des intermédiaires. Mais ils sont en train d'amasser des fortunes faramineuses, utilisant les moyens les plus louches, drainant littéralement les richesses du pays. Prenant plusieurs exemples, Bagga explique en détail comment le pillage fonctionne. On rapporte que les membres de ces puissantes familles contractent souvent des prêts bancaires qui se chiffrent par des millions de dinars, mais ne les remboursent jamais. Ainsi des montagnes de dettes douteuses se sont accumulées dans les bilans des plus importantes banques tunisiennes. Ces clans ont aussi la réputation de prendre des commissions sur tous les plus importants investissements étrangers et sur les marchés de l'Etat, ils se procurent des licences d'importation exclusive de produits de consommation, ou importent ces produits de façon illégale. Enfin, on rapporte qu'ils jouent l'intermédiaire dans toutes les procédures administratives en matière d'autorisations et d'agréments et touchent à cet effet des pots-de-vin dont les montants sont loin d'être négligeables.Selon Bagga, les pratiques du clan Trabelsi sont particulièrement insolentes. Il y a 20 ans, les Trabelsi appartenaient à la classe pauvre, maintenant ils sont l'une des familles les plus riches au pays, avec des participations substantielles dans les domaines du tourisme, de la vente au détail e de l'immobilier. Depuis mars 2002, Belhassan Trabelsi, considéré comme le chef du clan, possède sa propre compagnie aérienne, qui porte le nom de Carthago Airlines. Au mois de juin dernier, la journaliste Sihem Ben Sedrine a évoqué, au cours d'une émission de la chaîne de télé Al-Mustaquilla, une grande opération d'arnaque douanière perpétrée par Moncef Trabelsi, qui avait privé le trésor public de $450,000 de recettes. Dernièrement, son clan était le seul à avoir ouvert un bureau de consultation venant au secours des hommes d'affaires en matière de problèmes douaniers et fiscaux.

Corruption visible à l'oeil nu

Mais y a-t-il des preuves solides et dignes de foi pour corroborer ces accusations? Slim Bagga tient à préciser que la famille du président avait essayé une fois de porter plainte contre lui, mais la plainte a été retirée au dernier moment. Il dit que Ben Ali craignait sans doute que le procès fasse beaucoup de publicité autour de sa famille. Mais le fait le plus important, soutient-il, est que ces crimes sont si flagrants que les accusés auraient toutes les difficultés du monde à prouver leur innocence.
Moncef Marzouki, ex-président de la Ligue Tunisienne des droits de l'Homme, qui vit à Paris depuis fin novembre 2001, soutient les déclarations de Bagga. Le pillage du pays par les puissantes familles, dit-il, a atteint des proportions ahurissantes. "C'est un pillage à grande échelle, visible à l'oeil nu," déclare Marzouki. Il dit que ceux qui en sont responsables ne se soucient même plus de cacher leurs magouilles. C'est la raison pour laquelle, affirme-t-il, que le peuple tunisien rejette Ben Ali et son régime.

Pourtant, Marzouki admet que dans plusieurs cas les preuves de ces activités criminelles ne seraient pas suffisantes pour être recevables par un juge. Cela est en partie dans la nature des choses, dit-il, car les pratiques de corruption ne laissent généralement aucune trace matérielle. Mais ceci est aussi en partie dû au fait que la Tunisie manque de transparence politique et économique. Marzouki cite l'exemple du "Compte 26-26," dont la raison d'être théorique est de financer les projets sociaux et les oeuvres de charité. Ce compte est, cependant, sous le contrôle direct du président et ne fait l'objet d'aucun audit parlementaire. Pour démontrer l'étendue de la corruption et du népotisme en Tunisie, explique Marzouki, il avait appelé, il y a quelques années, à la création au d'une commission d'enquête parlementaire. Mais les autorités n'ont jamais autorisé une telle chose. Pourtant, Marzouki et Bagga ont tous les deux convaincus que les documents et les témoignages déjà disponibles sont suffisants pour servir de preuves contre les activités illégales des puissants clans familiaux.

La pointe de l'iceberg?

Que pensent les Tunisiens vivant en Suisse de ces accusations? Aucun n'est prêt à prendre une position sous son nom propre; le sujet est, tout simplement très sensible, disent-ils. Un spécialiste de sciences politiques dit que le journal "
L'Audace" est connu pour son style agressif et exagère peut-être un peu. Mais, ajoute-t-il, selon lui ses articles sont basés, pour la plupart, sur des fait réels. En plus, poursuit-il, aucun ne peut savoir à l'heure actuelle si les cas cités par le journal ne représentent, en fin de compte, que la pointe de l'iceberg. Les entreprises tunisiennes sont d'accord, dit-il, qu'aujourd'hui sur le fait qu'aucun projet ne pu être réalisé sans le concours de ces clans - ce qui ne pu être que catastrophique pour la moralité publique. Un économiste tunisien admet que "Rien ne peut se faire sans ces familles." Mais il dit que de telles pratiques sont monnaie courante partout dans le monde arabe.

Transparency International, une organisation non-gouvernementale basée à Berlin qui s'occupe de toutes les formes de corruption à travers le monde, indique qu'elle n'a pas de bureau en Tunisie. Raison: pratiquement aucune activité indépendante du gouvernement n'est possible. Ceci cadre parfaitement avec l'image que donne aujourd'hui la Tunisie de Ben Ali.

Juge révoqué

Il y a quelques mois, Mokhtar Yahyaoui, un juge de Tunis, avait écrit une lettre ouverte au président Ben Ali, lui déclarant qu'il était dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche parce que le pouvoir judiciaire était contrôlé par le pouvoir exécutif. Le magistrat avait exigé l'indépendance de la justice, garantie par la constitution tunisienne. A cause de cette lettre, Yahyaoui a été révoqué. Selon Amnesty International, depuis sa révocation, ses droits fondamentaux ont subi des restrictions. Début avril, les autorités tunisiennes l'ont bloqué à l'aéroport et l'ont empêché d'embarquer pour Genève, où il avait programmé une rencontre avec le rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l'homme.

Dans son rapport annuel, le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT) - organisation non reconnue par le gouvernement - exige l'application effective de la séparation des pouvoirs en Tunisie. Durant en cérémonie de présentation du rapport annuel, un porte-parole du CNLT a déclaré que les actes des tribunaux contiennent des instructions du gouvernement relatives au verdict suggéré et que les juges sont obligés de prononcer des jugements dictés par le pouvoir exécutif. Blasphème
Dans un article publié novembre dernier par Le Monde, Kamel al-Taief, un ancien conseiller du président Ben Ali, a déclaré que la Tunisie était gouverné par une "mafia" constituée de personnes appartenant au cercle familial du président. A cause de cette déclaration, al-Taief a été condamné à une année de prison ferme, officiellement pour "blasphème" et insulte à l'égard d'un membre du gouvernement. Cette condamnation a été accueillie avec consternation et incrédulité. Al-Taief vient lu même d'une famille riche qui, d'après ce qu'on rapporte, prospérait depuis des décennies grâce à la manne des marchés publics.

Traduit de l'anglais par
O.K

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