Réponse à Perspectives Tunisiennes, par Mokhtar Yahyaoui
Il y avait un temps où les changements profitaient aux extrêmes de droite comme de gauche ou à des juntes militaires comme cela a prévalu partout dans le monde et pendant les dernières décennies dans le tiers monde et en particulier dans le monde arabe.
Tout homme politique sensé ne peut aujourd'hui que reconnaître la fin du temps des insurrections, des coups d'état et des révolutions. Dans le monde d'aujourd'hui, l'Histoire nous apprend que tout changement s'effectue dans l'évolution et dans la continuité comme le résultat d'un processus qui a fini d'accumuler tous les ingrédients nécessaires à la nouvelle situation. C'est pourquoi je pense qu'un discours politique ne doit plus tendre à viser un renversement brusque et brutal d'une situation. Il doit plutôt agir sur les mentalités, la spoliation et la tutelle dont ils font l'objet pour leur permettre de pouvoir percevoir la réalité et les amener à la contester non seulement par mécontentement mais surtout par conviction car tout homme pourvu d'un minimum de bon sens saura que ça ne peut plus durer.
Qu'on est dans une situation qui handicapait les potentialités de notre pays et que le pouvoir tel qu'il est exercé constitue une entrave à son développement et à son progrès. Les sociétés contemporaines sont impliquées et intégrées dans une situation complexe qui conditionne et façonne leur vie. Elles dépendent dans leurs besoins les plus élémentaires d'un mode de vie dont aucun pays ne détient à lui seul les commandes qui le régit.
Ce n'est plus un renversement de conditions entre deux pôles complètement opposés par lequel on cherche à évoluer mais simplement un réajustement de situations et l'ouverture de nouveaux horizons capables d'amener de nouvelles générations à s'intégrer dans de nouveaux projets et d'ajuster avec plus d'équité la façon par laquelle est gérée la cité au profit de la majorité. Penser la politique autrement me parait prendre des risques sur lesquels peu de gens sont prêt à parier et tenir des promesses qui ne peuvent tôt ou tard que nuire à la crédibilité si ce n'est des illusions de démagogie à chauffer les foules avant de les laisser à leur triste réalité. Il parait même de plus en plus vain de faire appel à une notion de sacrifice et de patriotisme pour cultiver les passions alors qu'il ne s'agit que de trouver la solution adéquate aux problèmes du pouvoir et de gouvernement chose qui a plus besoin de maturité et de réflexion.
C'est vers une nouvelle perception de la citoyenneté qu'on doit se diriger, une conception dynamique du rôle de l'individu dans la société qui le libère des peurs et des appréhensions et qui lui ouvre bien les yeux et le met directement en face de ses responsabilités. S'il y a une véritable révolution dans le changement dont notre pays a besoin c'est dans la façon de l'aborder. Le changement est devenu un devoir national qui implique chaque citoyen. L'individu aujourd'hui est confronté à un double défi : La fin de l'Etat pourvoyeur, l'Etat assistant qu'on se met à sa charge et dont on ne pense qu'à profiter. L'individu est devenu l'élément moteur de génie et de création.
L'Etat maintenant fait peur et doit être contrôlé et les pouvoirs strictement délimités pour assurer l'épanouissement des libertés d'entreprise et des idées. Pour en arriver là on doit parvenir à amener notre société à refuser l'arbitraire et les atteintes à sa dignité et à ses intérêts privés. Cela ne peut être achevé que lorsque n'importe quelle injustice qui touche n'importe quel individu devient comme une atteinte qui interpelle chaque citoyen dans sa propre individualité et qu'il sent de son devoir de la dénoncer si non d'arrêter ses effets. La légitimité du pouvoir n'est plus un vain mot. Elle devient dans ces conditions plus importante que l'institution. C'est dans cette perspective que j'ai voulu sensibiliser tous nos citoyens et les amener à sentir le martyre de nos prisonniers d'opinions et l'infâmie dans laquelle sont détenus tous nos prisonniers sans ménager ni pouvoir ni opposition dans ma contestation car c'est ça la preuve de notre sous-développement et s'il persiste de telles situations avec cette cruauté c'est qu'on n'a pas tous fait le nécessaire pour le dépasser. Je crois que maintenant le plus déterminant dans tout engagement politique n'est plus le don de soi le sacrifice et le martyre pour son pays et tous ces manifestations de maladie d'ego à cause de ses propres frustrations. Ce stade là on l'a dépassé et on ne doit pas trouver aucune contradiction dans sa subsistance dans d'autres situations – Palestine, Tchétchénie- Le plus déterminant maintenant est le surplus, l'apport nouveau et l'amélioration de sa propre situation que doit trouver tout nouveau adhérant au projet de changement. Nous n'avons plus besoin de militant dégoûtés qui n'ont plus rien a perdre à s'engager dans la contestation qui n'attendent que le moment de la pagaille pour s'acharner dans la destruction car ils finirons par êtres matés et encore davantage humiliés. Ces situations de profonde oppression doivent être bannies à jamais. Tout engagement doit procéder d'une conviction que le changement va apporter des moyens pour améliorer toutes les conditions en plus de la dignité et des libertés retrouvés et ce n'est pas par un comportement d'opportunisme et d'hypocrisie que tout cela va se réaliser si tout citoyen ne se sent pas concerné comme un devoir d'apporter sa propre contribution pour le réalisé. C'est pourquoi je crois que nous devons tempérer nos ardeurs de révoltés et ramener nos ambitions au seuil de la réalité sans que mes propos ne soient compris comme un appel à la démobilisation c'est plutôt le contraire que je prêchais. Seulement je veux qu'on soit définitivement débarrassé de cette illusion de chef ou de guide qui va tout réaliser. Ces gouvernants de harkis et ces opposants de fellagh doivent être dépassés car ils ne représentent en tout et pour tout que la preuve d'un système basé sur l'exclusion qui réduit les citoyens dans ce débat au second plan.
Sans un engagement conscient et massif de toute les forces vives de la nation nous ne pourrons pas dépasser cette situation d'un pays arriéré du tiers-monde en convulsion. Le problème pour certains pays en phase de transition - dont la Tunisie – qui vivent cette singulière contradiction entre une respectable condition de vie générale et un manque effarant de liberté et de respect du droit dans la gestion du pays. Ce qui donne l'impression d'un peuple soumis qui doit lutter pour conquérir sa liberté est très difficile à cerner.
On est dans une société partagée entre deux temps : Vivant dans la liesse et avec engouement la modernité dans toutes les manifestations de la vie ordinaire de son quotidien, alors qu'elle est au moyen-âge de la politique (Tunisie), de la religion (Algérie), de la culture et même des valeurs de comportement (Maroc). Seules la dictature et la répression sont à même de gérer cette situation. C'est un tribut que la société donne l'impression d'accepter volontairement pourvu qu'elle conserve ses maigres acquis et ses illusions. Alors qu'une certaine élite en banqueroute d'idées va jusqu'à le légitimer par les règles de l'évolution ce qui ne fait qu'asseoir d'avantage les marasmes d'une situation de blocage et de contradiction. Le rebelle et le résistant qui croit avoir tout compris et qui se voit déserter par la foule mis aux pas par ses tyrans n'a que mépris et amertume se voyant marginaliser alors que le temps le broyait ainsi que ses fantastiques projets. Là aussi la rupture parait consommée entre une certaine élite et sa société. Je ne crois pas qu'on doive succomber à la dépression de la fatalité ni persister à se cogner la tête sans répit sur des portes qui ne s'ouvrent sur rien. Je ne crois pas non plus que notre pays soit un cas particulier ni à une certaine notion de la spécificité qui cherche à tout expliquer par la particularité. Si on réussit à comprendre l'histoire dans son cheminement on finira par déterminer notre position par rapport à son évolution et souvent la particularité de la phase qu'on est en train de dépasser peut être déterminée à l'image des expériences des pays qui nous ont précédés et ceux qui nous suivent de prés. Je crois qu'on n'est pas loin du Portugal de salazare ni de l'Espagne de Franco ou de la Grèce des généraux plutôt que des pays des blocs soviétiques qui ont connu une autre évolution.
Le monde du 21 siècle est en train de se tracer à nous d'être au rendez-vous. Nous devons nous préparer à admettre la défaite de l'histoire et de la géographie qu'on nous a enseigné. Nous sommes des occidentaux d'un pays qui n'a pas fini de se constituer. Le Maghreb est notre pays, notre destin et notre défi qui doit intégrer son espace naturel et savoir négocier sa position dans la nouvelle civilisation par la démocratie et le triomphe de la liberté. Le dynamisme de l'histoire dans lequel nous somme maintenant impliqués est en train de défaire ces liens séculaires qui ont pu associer le despotisme et l'arbitraire dans notre vie avec tout le mépris qui est en train de se propager envers ces politiques corrompus, ces magistrats soumis, ces richards affamés, cette bureaucratie pourrie et tous ces esprits tordus qui ne veulent pas lâcher, qui cherchent à tout accaparer et qui se sentent de plus en plus menacés. Ils savent, et tout le monde sait, qu'ils ont définitivement échoué alors qu'on n'a rien fait pour les déranger sauf exprimer ici ou là quelques mots qui sonnent à leurs oreilles comme le jugement dernier.
Ce qui est en train de se passer en réalité c'est l'Histoire qui est en train de les balayer. C'est cette défaite morale et sans appel qui va achever cette opulence ostentatoire et provocante, cette arrogance qu'ils ne peuvent que manifester à qui est en train de les dénoncer. Cette agressivité, cette rancune et ce manque de pitié qui dévoilent leur culpabilité et toute cette hypocrisie, ces parodies et ces magouilles de plus en plus décriées au rythme des scandales à répétition. Ces tendances mafieuses de parrains incontestés qu'on cherche en vain à maquiller en de faux nouveaux projets de société. Tout à l'air de marcher alors que rien ne va plus " l'ère nouvelle " est finie avant de commencer. Seule la vision capable de décerner cet arbitraire et de démanteler ce passé demeure incapable de déchiffrer l'avenir qu'on cherche à nous voiler par toute cette censure et cette langue de bois qui veut nous abêtir comme si on cherchait à nous interdire de franchir le dernier pas vers l'émancipation et la liberté par la terreur et ces menaces qui ne font plus peur. Comment dans ces conditions peut-on se taire et ne pas dénoncer l'archaïsme d’où il vient, les schémas et les clichés dans lesquelles on veut nous emprisonner par des valeurs et des concepts périmés ? Comment peut-on avoir encore du respect pour une conception de la politique qui ne dépasse pas l'aspiration de gérer la médiocrité dont on veut se débarrasser ? Comment peut-on encore admettre les magouilles qui cherchent à occulter l'expression de la noblesse de notre humanité séquestrée , torturée et dont la vie même est censurée dans des ghetto de Tazmamart, de Borj Erroumi ou El Amri entre autres, ces lieux de la honte qu'on veut cacher aux étrangers ? Comment peut-on être accusé de parricide en série et de jouer contre son propre camp alors qu'on cherche à sauver les plus martyrisés ? Ceux qui les ont puni et surtout tous ceux qui les ont oubliés du carcan où ils se sont tous installés ?
Mokhtar Yahyaoui Tunis le 02 Janvier 2002
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